Joel Salinas est neurologue et spécialiste en neurologie comportementale et neuropsychiatrie. Il est l’auteur de Mirror Touch : a memoir of synesthesia and the secret life of the brain. Ce médecin synsthète diplômé de Harvard ressent dans son propre corps ce que ressent une autre personne : ses douleurs, ses émotions, la moindre réaction corporelle. Une « empathie radicale » liée à une forme de synesthésie particulière : le toucher miroir. Il livre ici son témoignage, éclairant le fonctionnement du cerveau et des potentiels de l’être humain.

this is not a drung-induced daydream.
This is my reality

Joel Salinas

Le livre est en anglais, unfortunately pour les non-anglophones je n’ai pas trouvé d’édition en français. La lecture est néanmoins confortable et facile : si le sujet vous passionne cela ne sera pas un frein.

Selon les études, entre 60 et 150 formes de synesthésies auraient été recensées. La sienne prend le nom de Mirror touch, le toucher miroir.

En lire plus -en français- sur la synesthésie et les neurones miroirs


Le témoignage d’un neurologue sur sa synesthésie

Ce qui vit en l’autre vit en lui : la douleur d’un tiers devient sa douleur, la confusion d’une personne, sa confusion. Ainsi qu’il le relève, l’expression « se mettre dans les chaussures d’un autre » prend tout son sens, le plus littéral. Son enfance, ses amours, son parcours professionnel : d’anecdote en questionnement, il montre les forces et les faiblesses de cette synesthésie particulière.

Such experiences are primarily a sensory process, but their volume, their realness, can also be affected by higher-order cognitive functions. An acute attention to detail, coupled with a heightened sens of awareness and personal significance, seems to drive the salience of my synesthetic experiences.

Comment expliquer ce phénomène qui consiste à ressentir en soi la douleur d’un autre ? Les apports récents des neurosciences et les recherches sur les neurones miroirs participent de sa compréhension. Don ou malédiction, la question sera posée, car ce qui semble relever d’une condition neurologique fait partie intégrante de sa vie à chaque moment. On ne retire pas ses souliers à soi.

Le choix d’une profession : neurologue

Ainsi, à travers son métier il est en quelque sorte l’objet de sa propre étude et d’un éclairage aussi pertinent que subtil sur le fonctionnement du cerveau. Devenir médecin alors qu’il ressent à ce point les douleurs ? Conscient de ce challenge, il écrit :

Do I become a healer by pursuing medicine ? I hesitated. The bittersweet experience of working with patients was likely to be challenging – more challenging than the typical difficulties associated with becoming a doctor in the first place. (…) I might not be able to do it in a conventional way.

Son histoire n’est pas sans rappeler les couleurs de l’hypersensibilité de manière générale -mais en hypra- et apporte par l’intelligence descriptive de l’auteur une teinte vibrante que reconnaîtront celles et ceux qui en relèvent. Ses connaissances médicales et scientifiques et son expérience sensorielle s’entremêlent dans le livre, pour approcher au plus près ce que sa synesthésie a de particulier.

Au fait, qu’est-ce que la synesthésie ?

Caspar, Émilie A, et Régine Kolinsky. « Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie », L’Année psychologique, vol. 113, no. 4, 2013, pp. 629-666.

« A, c’est blanc et long, disait Veniamin ; i s’éloigne, on ne peut pas le dessiner ; ille est plus aigu ; iou est pointu, plus effilé que e ; ia est grand, on peut rouler dessus : o vient de la poitrine, il est large et le son va vers le bas ; hé s’en va de côté, et je sens le goût de chacun des sons. Quand je vois des lignes, elles émettent des sons elles aussi.« 
Extrait de « Une prodigieuse mémoire », Luria (1965). (…)

La synesthésie (du grec syn, union, et aesthesis, sensation) est un phénomène qui consiste en un liage sensoriel inhabituel, dans lequel certains stimuli évoquent automatiquement une perception additionnelle (Cohen Kadosh & Henik, 2007). 

Sensorialité et décalage : being weird

Empathie, neurones miroirs, synesthésie, neurologie et neurosciences : Joel Salinas explore ses ressentis comme on explore le monde, sa sensorialité exacerbée comme loupe grossissante de celui des autres. Weird, forcément, d’y être aussi sensible. Il explore également le monde de la psychiatrie, et à travers ses expériences professionnelles et personnelles, fouille le fonctionnement du cerveau.

Il décortique son vécu comme on dissèque : avec la précision du scalpel, la vigilance du chirurgien, et le questionnement scientifique. Des anecdotes relatées avec l’intensité émotionnelle de celui par lequel elles passent et l’objectivation maximale des faits. Recherches et études médicales jalonnent le récit de son histoire personnelle, amoureuse, et professionnelle.

Don ou malédiction ?

Il pose la question comme je me la pose aussi. En massage, mais aussi, comme lui, dans le quotidien. Quand, par trois fois ces derniers mois on me dit qu’il doit être difficile d’être le compagnon de quelqu’un qui sens tout. Quand, par dix autres fois on me répète à quel point il est étonnant ou formidable de « lire » à ce point en l’autre. Est-ce un don ou une malédiction ?

Ah, autre question, cela pourrait-il n’être qu’une illusion ?

« Though I still didn’t know if my mirror touch was a blesssing or a curse, I could at least finally confirm it was not a delusion. »

Confirmation faite par des tests validant sa synesthésie toucher-miroir, le spectre inquiétant de l’illusion est écarté. Que ne sait-on pas encore des potentiels du cerveau ?

Soi et l’autre

Il interroge également ses relations : comment être avec les gens ? Entrer en l’autre est naturel au synesthète. Le connaître et le comprendre sans s’y perdre est une gageure. La question de la réalité est soulevée. L’immense difficulté à cerner ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, ce qui est soi, ce qui relève d’autrui.

Comment revenir dans les sensations de son propre corps ? Quelque part entre la réalité physique et celle des perceptions, peut se perdre le synesthète qui relève du toucher-miroir. Ce qu’il décrit, c’est cette perpétuelle tentative du retour à ses propres ressentis et de ses frontières intimes.

Ces aller-retour d’une communication qui inclut d’intenses sensations, envahissantes, puissantes, s’ajoutent aux canaux classiques de la communication verbale et non-verbale. Ils font fi de la distance et brouillent la perception de soi.

Ainsi, il décrit admirablement cet effort permanent, ce bouillonnement interne, cet exercice de va-et-vient intérieur-extérieur, que vit une personne comme lui. Et, bon sang comme je le comprends.

Le don du « sentir au-delà »

Moi, je voudrais comprendre ce que je vis. Dans Mon école sorcière, je décris des expériences sensorielles atypiques dans un livre de doutes et de questions issues de scènes de vie. Le terme employé pour en décrire la plupart est celui de médiumnité. Je l’utilise avec précaution, demandant des pistes, preuves, éprouvant la chose. En lisant Mirror touch, je croise mes récoltes et me demande s’il adviendra que l’on renomme les médiums en mirror-touchers ?

Etiquettes et état des connaissances

Après tout, une étiquette n’a pas d’autre valeur que celle de caractériser en fonction d’un consensus autour d’un état de connaissances. Le témoignage de ce neurologue recoupe des traits caractéristiques de ressenti, de perceptions y compris à distance, d‘hypersensibilité caractéristique de profils neuro-atypiques, dont relève peut-être au moins en partie la médiumnité. S’il faut, c’est « juste » un trait neurologique.

Je me posais déjà la question en rapport avec une autre étiquette, celle du TSA – Trouble du Spectre Autistique. J’évoquais également la synesthésie – chapitre 32, Neuro-noeuds. Don du ciel ou neuro-atypie ? Vous l’aurez compris : je me demande si la science -celle qui explore tous les possibles sans œillère- éclairera ce que l’on nomme don, ou le renommera en particularité organique ou fonctionnelle « donnant accès à ».

L’information, notion fondamentale

A quoi ? Je dirais, à l’information. Au sens quantique du terme qui veut que tout le soit.

« Convaincu que l’information est la notion fondamentale de la mécanique quantique, le physicien américain Christopher Fuchs est parvenu, en une série de schémas, à expliquer des phénomènes qui jusqu’alors échappaient aux chercheurs. « L’information relance la quantique. In Sciences et Vie, maj 19/11/2018


En conclusion, le toucher-miroir pourrait être corrélé à cette idée que l’information est captée avec des dimensions de réception supplémentaires, en nombre, en qualité, en croisement, en… tout. Peut-être ce que Salinas qualifie « d’empathie radicale« , pour qualifier la déferlante informationnelle visible ou invisible entre les êtres.